Longtemps après que les flots verts et gris de la mer du Nord aient fini d'envahir les terres et que les hommes, à force de courage et d'entêtement, aient comblé une bonne partie du septentrion, je vis le jour en 1968. La Flandre telle que je l'ai perçue: avec les dunes de Maxence Van Der Mersch, avec les jacinthes chères à Marguerite Yourcenar. A peine plus au sud, serpente lentement la Lys, qui fait un détour par la France avant de rejoindre l'Escaut. Il n'y a plus guère de bateliers. Les chemins de hallage longeaient tantôt le canal, tantôt la rivière, où seule la force d'un cheval faisait glisser la péniche. Le Pas-De-Calais est tout proche et la Lys a quelquefois laissé son nom aux communes qu'elle dessert. A l'orient, la frontière était, dans la jeunesse de mon père, le théâtre d'embuscades où douaniers et fraudeurs vivaient des nuits agitées.
Tandis que les vestiges d'Ypres témoignent des batailles de la Grande Guerre, Bruges révèle sa splendeur à ses concurrentes, sans qu'il soit nécessaire de gravir son beffroi ( plus de 80m.).
Honorin Victoire dénombre et dénomme de manière précise des centaines de vents soufflant sur l'hexagone. Mais ici, la fougue d'Eole n'a pour nom que le vent du nord. Pas de bise ni de brise, le vent du nord fait défiler les nuages au pas de course. Colérique, ses bourrasques sifflent et grondent. Joyeux, il façonne les gens à son image et les vivifie par temps de Carnaval.
Au milieu du tableau, ondulent les Monts des Flandres. Les flamands en revendiquent sans cesse leur attachement. Si les pavés du Mont Kemmel ont fatigué bon nombre de mollets, les bois du Mont Rouge et de son Noir voisin ont embelli nos dimanches enfantins.
Le Mont des Cats revêt des atours semblables, avec davantage de sérénité. Un monastère de trappistes a été édifié à son sommet et participe aujourd'hui encore de la vie quotidienne. Les Antonins s'y étaient installés dès le milieu du XVIIè mais la période révolutionnaire eut raison de l'ermitage. D'autres "Lettres de Mon Moulin" auraient pu être écrites; il y avait dans ce pays des "Maître Cornille" et peu de "Don Quichotte". Quelques moulins à vent subsistent et ont été restaurés suite aux bombardements dont la région a payé un lourd tribut.
Quelques tours d'ailes plus loin, le Mont Cassel, dernière montagne avant la Mer du Nord. Le relief est trop vieux pour accuser un dénivelé important et cependant, sur les hauteurs des Monts des Flandres, le panorama n'entre pas dans les écrans 16/9è !
Le paysage est franc, fier mais sans orgueil. On observe une mosaïque de parcelles agricoles et des bocages qui absorbent les pluies parfois trop abondantes. Malgré des cieux ombrageux, la lumière perce et livre des contrastes d'une sincérité éclatante.
Bailleul se trouve au pied du décor. Quand on s'approche de l'hôtel de ville et du beffroi qui le chaperonne, le carillon entonne une offrande musicale à Mélusine, plus haut perchée, qui, telle une sentinelle, veille à 360° autour de la cité.
(extrait de souvenirs F. Leclercq "Des racines dans le sable" )